KHALIL ADIL - Penser
- sytounmcef
- 13 nov. 2021
- 15 min de lecture
« Développe un esprit critique ! »,
« Pense par toi-même ! »,
« Ne te laisse pas manipuler »
« N’adhère pas aveuglément à une religion »
« Sois un libre-penseur ! »… sont des recommandations qu’on nous donne depuis tout petits mais pour autant, en sommes-nous réellement capables ? Peut-on vraiment avoir un esprit critique et penser à 100% par nous-mêmes ? Sans aucune influence de facteurs extérieurs s’immisçant dans notre raisonnement sans même parfois qu’on s’en aperçoive ?
Essayons de nous mettre à la place d’un enfant que ses parents abandonnent tout seul à la maison. Au début, il va peut-être être content d’avoir un petit peu de liberté et aller ouvrir le placard à bonbons pour s’offrir un petit plaisir. Mais après ? Quand viendra le moment de préparer le repas. Ou encore d’aller acheter du dentifrice quand il constatera qu’il n’y en a plus et que, comme il fait nuit, les magasins sont fermés. Pire, quand il devra aller au lit et qu’il entendra le sinistre craquement du plancher ou l’effrayant grincement d’une porte. Et ne parlons même pas des situations extrêmes, comme une coupure d’électricité ou une fuite d’eau. L’enfant va paniquer sans ses parents, car il sera face à plein de choses qu’il ne connait pas et ne sait pas gérer seul. Si on demande à cet enfant de penser par lui-même et de trouver la solution tout seul, on lui demande l’impossible puisqu’il est face à des choses qui le dépassent. C’est pour ça qu’un enfant normal dans une telle situation va appeler sa maman, son papa, son grand frère ou plus largement le premier adulte qu’il verra à l’aide, car il est face à ses limites et il en a conscience.
Maintenant, en grandissant, cet enfant va devenir un adulte. Il va donc apprendre et comprendre certaines choses et le fait d’être tout seul dans un appartement ou une maison ne va plus l’effrayer comme quand il avait 10 ans, puisqu’il a appris – ou plutôt, parce qu’on lui a appris, car pour ça, il a eu besoin de son entourage – à vivre seul, à cuisiner, à faire les courses, laver son linge, etc. et même s’il y a une coupure d’électricité, il en connait la cause, donc il ne va plus paniquer mais aller essayer de rétablir le courant en poussant le bon interrupteur. Et si ça ne fonctionne pas, il allume une bougie et prend son mal en patience.
Mais pour autant, cet adulte est-il capable de tout comprendre et tout gérer par lui-même ? Pour autant que je sache, l’adulte a certes gagné en lucidité, en autonomie et en savoir depuis son enfance mais pour autant, il n’a fait que repousser ses limites qui, pour autant, sont toujours là et le seront toujours car c’est le propre de l’être humain, capable de comprendre certaines choses telles que le mécanisme d’un ordinateur, certes, mais incapable d’en comprendre ou d’en réaliser d’autres sans une aide compétente. L’humain est incapable de sortir de l’attraction terrestre, par exemple. Ou de descendre dans les abysses, au-delà d’un certain niveau de profondeur sans risquer sa vie. Ou même de comprendre le sens de sa vie. Dans le premier cas, il peut s’aider de matériaux sans garanti de résultat, et dans le second, il peut se fabriquer sa théorie mais ce ne sera toujours qu’une hypothèse. Et même si on rentre sur un terrain plus terre à terre, comme les maths (ce n’est pas l’exemple qui plait le plus, je sais) : il ne peut pas faire de bons calculs complexes avec des nombre simples, des nombres à virgule, des racines carrés, etc. s’il n’a pas les explications d’un professeur qui lui explique la méthodologie mathématique correcte.
Tout ça pour dire que penser à 100% par soi-même est impossible car notre savoir est limité. On a toujours besoin de quelqu’un qui va combler nos limites en nous expliquant ce qui nous manque.
Et dans le cas du professeur de maths, ou de l’enfant paniqué qui court vers ses parents, il ne va pas y avoir d’esprit critique – et encore moins de scepticisme – puisqu’on sait qu’on est incapable de vérifier et de contester ce que nous dit celui qui en sait plus que nous. Donc on va l’écouter et accepter ce qu’il nous dit. Si par la suite, en grandissant, on découvre qu’il y avait eu des erreurs ou des mensonges – comme l’enfant qui découvre que le père Noël n’existe pas mais que c’est papa et maman qui lui ont menti – à ce moment-là il va y avoir une remise en question, car la personne concernée n’est plus un enfant mais un adulte comme ses parents, donc, d’une certaine manière, est sur un pied d’égalité avec eux.
On peut aussi dire que penser par soi-même à 100% est impossible à cause d’un traître nommé notre cerveau, composé de multiples biais qui peuvent fausser notre raisonnement dans certaines situations.
Tout le monde connait, je pense, le dicton « l’amour rend aveugle ». Mais pourquoi, lorsqu’on subit un « coup de foudre » qui nous sublime une personne à nos yeux, ne sommes-nous pas capables de faire preuve d’esprit critique à cet instant, vis-à-vis de cette personne qui a, par ailleurs, des défauts comme tout être humain ? Parfois même de gros défauts qui, normalement, sautent aux yeux mais que la personne sous le charme ne verra pas, ou alors interprétera comme étant simplement un trait de caractère anodin ou même positif au point où, aveuglée par ses sentiments, elle peut aller jusqu’à dire : « oui, d’accord Roméo a les mains qui tombent malencontreusement trop souvent là où il ne faut pas, il ne sent pas peut-être la rose et il dit beaucoup de gros mots mais c’est pas dérangeant, en fait, c’est ce qui fait qu’il est différent et ça contribue à son charme ». Ce qui explique ce type de réaction, c’est que, sous l’emprise de l’émotion, le cerveau de la victime du « coup de foudre » est victime d’un biais lui faussant sa vision de la réalité sur le Roméo en question (ou la Julie, la Marianne ou le Booba, peu importe).
Et comment parler de « l’amour rend aveugle » pour un être humain sans parler de celui que les gens éprouvent pour leurs passions ? Et surtout l’impact qu’elles ont sur le cerveau de celui ou celle qui s’y adonne sans mettre de limites. Je vais reprendre un exemple qui fâche mais voyez comment réagissent certains fans de foot quand on parle en mal de leur joueur préféré ou qu’on explique – avec arguments et preuves à l’appui – que le foot actuel est un outil d’abrutissement des masses qui feraient mieux de s’intéresser à des choses plus intéressantes que 22 millionnaires en sueur sur un terrain à courir derrière un ballon pendant 90 minutes ? Voyez aussi comment réagissent certains fans de rap quand on leur apprend (ou rappelle) – toujours avec preuves et argumentation – que leur musique préférée est une sous-culture d’analphabète, comme dirait l’autre, utilisée par le système pour abrutir la jeunesse et plus particulièrement ceux des quartiers. Eh bien l’amour excessif de leur passion a malheureusement retourné le cerveau de ces fan(atique)s et les fait perdre tout sens critique au point où les moins irrécupérables font la sourde oreille tandis que les pires vont jusqu’à l’insulte, les menaces ou les coups.
Idem pour certaines féministes avec qui on ne peut plus discuter calmement à partir du moment où on critique leur idéologie libertaire et égalitariste, ainsi que leurs revendications. Même si on leur apporte des arguments et qu’on tente de faire appel à leur raison, leur passion est tellement forte que l’esprit critique croule sous le poids de l’affect émotionnel ; et face à des arguments, on ne récolte que de l’hystérie, des insultes, des étiquettes et des menaces, sans compter les arguments d’autorité du style « si t’es pas d’accord avec nous, alors t’encourage la culture du viol » alors que non. On peut très bien dénoncer à la fois les pervers et autres débauchés sexuels – ainsi que les brutes qui ne savent que donner du poing – mais aussi leur idéologie égalitariste qui, au-delà de nier les nombreuses différences entre les hommes et les femmes (théorie du genre, etc.), incite insidieusement ces dernières à voir les hommes comme de potentiels ennemis. Mais pour comprendre ça, il faut arriver à dépassionner les échanges et empêcher les émotions de prendre le dessus sur la raison. En l’occurrence, faire preuve d’esprit critique. Mais malheureusement, ça n’a pas l’air d’être possible pour tout le monde.
Même cas de figure pour quelqu’un qui a des préjugés, dû à la culture, au conditionnement social… ayant inconsciemment acquis une manière de penser et de juger certaines choses et personnes, ce type – qu’on va appeler Rodolf pour l’exemple – va baser ses jugements sur ses préjugés, instinctivement et souvent sans s’en rendre compte. Imaginons du coup que Rodolf soit issu d’un milieu français identitaire où, depuis tout petit, on l’a conditionné à haïr les Arabes et les Noirs. Forcément, il aura beaucoup plus facilement tendance à retenir les défauts des Arabes et des Noirs qu’il va côtoyer ou dont il va entendre parler dans sa vie que leurs qualités. Pourtant, tout le monde a des défauts et des qualités. Poussons l’exemple et imaginons que Rodolf rencontre Mamadou qui s’avère être un brave type aimable, poli, respectueux, altruiste, charitable… mais qui a aussi le défaut d’être susceptible et de s’emporter rapidement. Eh bien ce défaut va être plus vite perçu et grossi par le cerveau de Rodolf qui va, de la même manière, minimiser instinctivement toutes les qualités de Mamadou, même s’il en a beaucoup. Tout ça à cause des préjugés de Rodolf qui lui ont faussé sa vision de la réalité. Du moins au premier abord car après, tout le monde peut faire un effort de réflexion et oser s’affranchir de ses avis préfabriqués… mais pour ça, encore faut-il le vouloir, ce qui n’est pas le cas de tout le monde.
Bonne transition pour parler du conditionnement social qui est sans doute l’un des facteurs faussant le plus souvent nos raisonnements, en nous faisant croire que nous pensons par nous-mêmes, alors que non. On croit penser par nous-mêmes mais en réalité, on pense à travers le système de valeurs avec lequel on a été conditionné, qu’on prend pour LA norme alors qu’en fait, il ne s’agit que d’UNE norme parmi d’autre, qui de surcroit est subjective.
La masse française en est un très bon exemple : elle réclame la démocratie directe et vante cela comme le meilleur système politique. Alors qu’en creusant un peu, on voit très vite que la démocratie directe est un système politique instable et, dans les faits, inapplicable.
Instable car, comme l’a dit l’humoriste Pierre Desproges lorsqu’un journaliste lui a posé la question : « êtes-vous démocrate ? – la démocratie, c’est le pouvoir de la majorité, c’est ça ? – oui – et la majorité, c’est les gens qui écoutent Sabatier[1] ? »
Et inapplicable car, dans les faits, tout le monde ne peut pas gouverner, la plupart n’ayant ni le savoir ni les compétences pour cela. Or il est une règle liée à notre condition : toute organisation humaine (restreinte comme une famille ou large comme un peuple) a besoin d’un chef. D’ailleurs, même les démocrates ont été forcé de l’admettre en instituant le système représentatif, avec le président, les députés, etc. même si en réalité, c’est plus complexe que ça (politique profonde, corruption, lobbying, franc-maçonnerie, etc.)
Mais alors, si ce système politique est si faible quand on creuse un petit peu en mettant l’endoctrinement progressiste et l’affect de côté, comment expliquer cet engouement pour la démocratie ?
La réponse la plus évidente est le conditionnement social via la propagande que le peuple français (entre autres) a subi dès l’enfance à l’école, puis à travers les canaux de divertissements (les films qu’il regarde dont beaucoup sont des productions de grosses industries cinématographiques, donc forcément adaptées à certaines normes…) dans lequel on lui a tellement vendu la démocratie comme une belle idée qu’inconsciemment, son cerveau l’a admis et en grandissant, ce français moyen est devenu démocrate et il le restera sans doute jusqu’à ce qu’il comprenne – s’il comprend – que son conditionnement n’est pas forcément la réalité ; et surtout qu’il l’accepte car parfois, on comprend mais on refuse d’accepter car on a peur du changement ou simplement car on a des intérêts égoïstes.
Dernier exemple avec l’esprit partisan : on appartient à un groupe, on s’y sent bien donc on ferme les yeux sur ses défauts – voire on les enjolive au point d’en faire des qualités – et s’il y a différend avec le camp opposé, on prend le parti du nôtre qu’on défendra coûte que coûte, même s’il s’avère de manière flagrante que c’est de chez nous que vient l’injustice. L’esprit partisan va fausser notre raisonnement et donc notre vision de la réalité et va nous faire adopter un comportement sectaire.
Idem pour le biais de confirmation. Quand une personne a d’ores et déjà une idée dans la tête, elle va chercher tout ce qui va appuyer son postulat sans forcément étudier la logique de ce qui ne va pas dans son sens. Imaginons par exemple un nationaliste et un citoyen du monde pro-immigration. Chacun des deux a sa vision. Lorsqu’ils vont se rencontrer et débattre, c’est rare que leur confrontation ait pour objectif de trouver la vérité ou même la meilleure solution. Chacun défendra son camp avec des arguments qu’il ne sélectionne pas forcément pour leur pertinence, mais parce qu’ils le confortent dans son postulat initial. Imaginez que le nationaliste ramène une étude indiquant que l’immigration fait perdre de l’argent à son pays. Et que le citoyen du monde en ramène une autre indiquant qu’au contraire, l’immigration favorise l’économie du pays. Déjà, si ce cas de figure arrive, on peut être sûr d’une chose : au moins l’un des deux se trompe ou ment, car deux énoncés contradictoires ne peuvent pas être tous les deux vrais. Donc soit le patriote a tort. Soit le cosmopolite a tort. Soit les deux ont tort. Mais dans l’écrasante majorité des cas, ça ne va servir à rien de confronter les deux études puisque même si on mettait celui des deux qui s’est trompé face à toutes ses contradictions, il se réfugierait immédiatement derrière un autre argument. Et quand il n’en aura plus, soit il trouvera une échappatoire pour fuir dignement sans trop donner cette impression, soit il aura l’honnêteté de dire clairement ce qui l’anime depuis le début : « de toute façon, je pense comme ça et je suis libre de penser ce que je veux ».
Alors évidemment, tout le monde a des convictions et des valeurs, jusque-là c’est normal. Et beaucoup cherchent à propager leurs idées. Là encore, il n’y a rien de mal.
Par contre, quand des faits et des preuves irréfutables viennent contredire une personne qui, au lieu d’oser la remise en question, va commencer à mentir, à trafiquer les faits ou à s’attaquer au contradicteur en délaissant son argumentaire, il n’y a plus d’esprit critique. L’affect et le biais de confirmation l’ont totalement obnubilé.
Au passage, puisque j’ai parlé des débats, je vais en profiter pour aller plus loin et rappeler que très souvent, le but qu’il y a derrière n’est ni la recherche de la vérité ni même l’envie de convaincre l’opposant. La principale raison pour laquelle les penseurs débattent en public est surtout de toucher les spectateurs indécis et ceux qui n’ont que des convictions de façade. Mais là encore, il y a un biais qui s’active chez beaucoup de ces spectateurs : la forme va leur faire négliger le fond.
C’est ce qu’on constate d’ailleurs très souvent : ce n’est pas tellement la pertinence des arguments qui va être prise en considération par le public – qui n’a souvent pas les outils pour dissocier le vrai du faux sur ces sujets qu’il ne maitrise pas – mais plutôt l’éloquence et l’assurance de chacun des débateurs. Ces derniers l’ayant bien compris, beaucoup vont faire le maximum pour soigner la forme et s’efforcer d’écraser leur opposant et ce même en usant de sophismes, en déformant des faits ou en mentant parfois effrontément.
Imaginez un néonazi beau-parleur, cultivé et habile face à un pacifiste maladroit et inculte. Le fond des idées de chacun a beau être ce qu’elle est, ce néonazi est bien parti pour humilier son adversaire et convaincre un public indécis de le prendre au sérieux, puisqu’il maitrise l’art de la communication, renvoie une image d’intellectuel et cloue magistralement le bec à ses ennemis idéologiques… ou plutôt à l’un d’entre eux, tandis qu’un autre plus érudit et éloquent aurait su remettre les points sur les I. Mais celui-là, puisqu’il n’était pas là, le spectateur lambda ne va pas l’inventer. Ce qu’il va faire, c’est se contenter de ce qu’il a vu : un néonazi très intelligent et cultivé – qui en plus s’exprime très bien avec des tas de mots très savants – qui a cloué magistralement le bec à un militant pacifiste… à coups de sophismes et de manipulation certes, mais ça passe avec un public sans conviction ni grande instruction qui n’arrive pas à distinguer une bonne analogie d’une mauvaise.
Ce que j’ai donné là n’est qu’un échantillon d’exemples parmi bien d’autres. On peut continuer encore longtemps car le nombre de biais cognitifs, émotionnels et d’autres facteurs qui perturbent nos cerveaux et faussent nos raisonnements sont très nombreux.
***
Mais on va s’arrêter là et faire le petit constat nécessaire : on ne peut jamais penser à 100% par nous-mêmes. Et heureusement puisqu’au vu de ses innombrables défaillances, tout miser sur notre seule raison est le meilleur moyen de se tromper.
Du coup, pourquoi ne pas faire preuve d’humilité et accepter de mettre de côté notre raison limitée pour s’accrocher à une anse plus solide, tel l’enfant à ses parents ?
Cette anse plus solide peut être le consensus des experts sur un sujet donné, comme le réchauffement climatique, par exemple. Seuls, on n’a pas les moyens nécessaires pour discerner le vrai du faux. Et si on essaye de raisonner par nous-mêmes avec tous nos biais cognitifs doublés des facteurs extérieurs (imaginez la pression qui doit peser sur les épaules de ceux et celles dont la famille et les amis sont tous des climato-sceptiques) qu’est-ce qui nous garantit la fiabilité de notre résultat ?
Alors que si on fait des recherches sérieuses – donc pas de Google ni de Facebook mais plutôt de véritables articles et conférences scientifiques ; en évitant aussi les sources qui appartiennent à des élites tirant profit de l’exploitation des ressources planétaires ou encore celles d’ONG écologistes car dans les deux cas, on peut légitimement craindre que les intérêts des uns et des autres ne viennent endommager l’objectivité de leurs analyses. En s’appuyant sur des experts climatologues qualifiés et honnêtes, on est déjà accroché à un socle plus solide. Et même si notre résultat ne sera pas 100% infaillible car même les plus éminents et intègres scientifiques de cette terre peuvent se tromper, il n’en reste pas moins que c’est une référence plus fiable qu’un polémiste du net ou qu’un savant rattaché à un lobby.
Et on fait de même pour chaque sujet qui nous intéresse ou qu’il nous est nécessaire de connaître un minimum.
Sur la question fondamentale du sens de notre vie (vous me connaissez, vous savez que je veux remettre ces questions fondamentales au centre de nos préoccupations), est-il rationnellement pertinent de se référer à nos égaux humains qui n’ont aucun moyen d’en savoir plus que nous sur cette question qui dépasse la raison humaine ? Comme ceux qui prennent les discours existentiels d’un Socrate, d’un Platon, d’un Nietzsche, d’un Kant, d’un Marx, d’un Polnareff ou d’un Onfray pour argent comptant ? À moins d’être revenu à la vie après un séjour chez les morts, ou d’avoir reçu une Révélation divine, ou encore d’avoir des capacités surhumaines insoupçonnable, aucun philosophe ni aucun penseur ni plus largement aucun être humain peut affirmer savoir ou ne pas savoir ce qu’il y a ou ce qu’il n’y a pas après la mort, ni pourquoi nous existons ni qui nous a créé. Alors que si l’un de ces facteurs rentre en jeu – en l’occurrence une Révélation, comme la Torah, l’Evangile ou le Coran qui, après être descendue, échappe à toute falsification – s’y accrocher avec la certitude qu’il s’agit de la parole du Créateur de l’univers, c’est se cramponner à l’anse la plus solide qui soit ; avec pour le coup une fiabilité de 100%, comme Allah le dit d’ailleurs dans le Coran : {quiconque mécroit au Taghout[2] tandis qu'il croit en Allah saisit l'anse la plus solide, qui ne peut se briser} (sourate 2, verset 256).
Et ainsi de suite pour tous les sujets. Ce qui nécessite un bon usage de notre raison et un esprit critique bien orienté, conscient des biais et des facteurs extérieurs qui peuvent influer sur son cerveau, donc plus à même de minimiser leur impact.
Car si on ne réfléchit pas mais qu’on ne se laisse guider que par nos émotions, comment trouver les bonnes sources et distinguer une référence réellement solide d’un pseudo pilier en apparence cohérent mais croulant dès qu’on commence à le décortiquer ?
Si on tombe non pas dans l’esprit critique et le doute raisonnable sur ce dont il est plus sage de douter, mais qu’on tombe carrément dans l’hypercritique et le scepticisme absolu, comment avancer dans la vie en remettant absolument tout en question, y compris les évidences irréfutables ?
Inversement, si on ne fait pas preuve d’esprit critique lorsque c’est nécessaire, comment être sûr de ne pas être trompé par des sophismes ou des trafics de preuves émanant de gens incompétents ou de sommités corrompues ?
Quand une personne ou un gouvernement nous dit : « moi j’ai tout compris à la vie tout seul, sans Révélation du Créateur, ni savant, ni rien, juste avec mon cerveau surdéveloppé (adjectif qui conviendrait mieux à son égo) » en ces termes ou en d’autres beaucoup moins caricaturaux et bien plus éloquents à ce moment-là, évidemment qu’il faut activer ses neurones, sa raison et être prudent.
Comme quoi, même pour parler d’esprit critique, il faut faire preuve d’esprit critique. Il y a beaucoup d’erreurs à éviter pour ne pas tomber dans des pièges.
J’ai beaucoup parlé des biais cognitifs qui perturbent notre cerveau mais il ne faut pas non plus totalement le dénigrer. Quand on sait que, dans certains domaines, la raison, la logique et le cerveau humain peuvent produire des choses utiles et bénéfiques – notamment dans le domaine technologique (entre autres) ou sur le plan intellectuel – ce serait dommage de nous en priver.
Le but de cette réflexion n’était pas de dire qu’il ne faut pas réfléchir par nous-mêmes (ce qui serait contradictoire avec le fait d’écrire une réflexion) mais avant tout de nuancer, et d’apporter une réflexion plus profonde que le simplisme et la binarité ambiante qu’on retrouve beaucoup trop sur internet, dans la plupart des médias et malheureusement chez beaucoup de gens. Comme ça, la prochaine fois qu’on nous dira de faire preuve d’esprit critique, on saura mieux comment comprendre ce conseil sans tomber dans un extrême ni dans un autre.
Sur ce, je laisse toutes celles et ceux qui le souhaitent à une bonne méditation.

Extrait d'AGIR 5, disponible en intégralité en téléchargement gratuit ici : https://khaliladilauteur.wixsite.com/website/librairie
et en format papier à la demande (sytounmcef@gmail.com)




