KHALIL ADIL - "B-A-BA" (extrait du livre sur la da'wa)
- sytounmcef
- 17 avr.
- 9 min de lecture
Cela dit, même s’il n’est pas nécessaire d’être un alim pour transmettre ce que l’on connait de l’Islam, il y a malgré tout un B-A-BA pour qui aspire à se lancer intelligemment dans l’effort de la da’wa.
À mon sens – confirmé par la réalité du terrain et ce que disent de nombreuses personnes de science – le minimum syndical nécessaire pour être un bon prédicateur, aujourd’hui et dans un contexte comme le nôtre (en France mais pas uniquement, cela vaut également pour nos pays d’origines infectés par le modernisme occidental), est déjà d’être un musulman décomplexé, ferme sur sa foi et ses principes, tout en étant conscient des enjeux et de la réalité du monde dans lequel il vit.
Je m’explique : beaucoup de musulmans et de musulmanes, en particulier chez les nouvelles générations, ont pour souci d’améliorer l’état du monde actuel en pleine crise. Ce qui est un objectif noble, qui doit être celui de tout croyant se réclamant du Messager d’Allah ﷺ dont toute la vie a été dédiée à cela.
Le problème, comme nous l’avons déjà évoqué en parlant des erreurs commises dans la da’wa, c’est que beaucoup de ces petits frères et petites sœurs n’ont pas le bon référentiel. Leur vision du bien et du mal, de la justice et de l’injustice, et plus largement tout leur système de valeurs découle des enseignements des idéologies modernistes, et non de ce qu’Allah azawajal a révélé. Il n’est pas rare de voir ces frères et sœurs n’ayant jamais étudié leur din auprès de savants qualifiés faire leur propre tafsir du Coran et de la position de l’Islam sur tel ou tel sujet à coups de « moi, je pense que… » (et généralement, mauvaise grille de lecture oblige, ce qu’ils pensent est complètement opposé à ce que les véritables érudits aptes à pratiquer l’effort d’interprétation des textes sacrés en ont compris). De même qu’on en voit beaucoup prôner le relativisme religieux là où l’Islam est catégorique sur le fait que la seule véritable religion que notre Créateur nous ordonne de suivre est l’Islam, voie de tous les prophètes, et que celui qui mourra sur une autre croyance tout en ayant eu accès au Message sera parmi les mécréants voués à l’Enfer éternel.
Plus largement, beaucoup de ces frères et sœurs ont été emportés par la vague PTV2 (Polnareff : « on ira tous au paradis », Tupac : « only God can judge me », Vatican 2 : « la religion doit se conformer à la modernité[1] ») à travers lequel semble être bâti leur compréhension du din, qui n’est en fait ni plus ni moins qu’un gloubiboulguesque syncrétisme entre le modernisme et une spiritualité New-Age saupoudrée de quelques traces d’Islam.
Lorsque ces frères et sœurs – à qui je souhaite le bien, raison pour laquelle je les exhorte à remettre en question leur compréhension du din – prêchent (leurs idées) à travers les médias lorsqu’ils s’expriment, les poèmes et autres livres qu’ils écrivent, les films qu’ils produisent et réalisent, les musiques qu’ils chantent et plus largement toutes les interactions qu’ils ont avec les autres, ils ne s’en rendent certainement pas compte, mais ils font en réalité da’wa contre l’Islam, et servent à merveille les intérêts des islamophobes en répondant ainsi à leur objectif de séculariser les musulmans.
Parce que c’est cela la finalité et principale cause de cette islamophobie d’Etat, qui s’inscrit dans la continuité logique de la christianophobie de l’époque des débuts de la République. Le nouveau système ayant succédé à la monarchie et l’Eglise est bâti sur de nouvelles idéologies, notamment l’athéisme et le laïcisme, décrit par plusieurs de ses fervents adeptes (Vincent Peillon, pour ne citer que lui, l’a d’ailleurs explicitement déclaré dans ses ouvrages) comme la “nouvelle religion de la République”. À cela se sont ajoutées les nouvelles doctrines New-Age mai 68ardes que des lobbies ont œuvré à faire accepter au peuple à travers divers médias et canaux de divertissements. Or, de la même manière que l’Eglise du temps de la monarchie “de droit divin” ne tolérait aucune alternative (et quand il y avait une tolérance, elle n’allait jamais bien loin, comme le démontrent les nombreuses injustices subies par les protestants après l’édit de Nantes), il en va de même pour le système républicain laïcard moderniste actuel. Bien sûr, les musulmans et chrétiens sécularisés ne le dérangent pas, puisqu’ils sont convaincus ou tout au plus soumis aux doctrines de la doxa dominante.
Quant aux musulmans, aux chrétiens et même aux juifs orthodoxes (qui n’ont rien à voir avec les sionistes) attachés aux fondements de leur foi, opposés sur de très nombreux points à ces idéologies modernes, qui prêchent une vision du monde accompagné d’un mode de vie différent sont, de fait, combattus par le système.
Alors aujourd’hui, le christianisme ne représentant aucune menace pour le (dés)ordre établi, le système n’a plus besoin de faire des lois d’exception christianophobes ni d’exercer des pressions abusives sur les prêtres et les fidèles (même s’ils continuent à se faire salir par la propagande anticléricale dans les médias et via le soft power).
Mais en ce qui concerne les musulmans, nous sommes encore – al hamdullilah – nombreux à être attachés à nos principes, malgré nos montagnes de manquements et faiblesses de foi. Raison pour laquelle l’Islam et ses adeptes sont autant combattus en France, et même dans certains pays musulmans sécularisés qui suivent le modèle occidental (les savants emprisonnés dans le monde arabe, entre autres)…
Cette réalité, il faut que chaque membre de cette oumma en ait conscience. Surtout ceux et celles qui ont le souci d’apporter leur contribution afin de tirer ce monde vers le haut. Cela ne peut se faire si la vision n’est pas bonne. Or, quelle meilleure vision que celle basée sur la Révélation du Créateur de cet univers et tout ce qu’il contient ? C’est pour cela qu’avant de prêcher, le B-A-BA de tout prédicateur digne de ce nom est de comprendre que l’Islam n’est pas qu’une religion au sens où ce mot est souvent compris en Occident, à savoir un ensemble de rites et de pratiques cultuelles dissociables du reste, mais une vision du monde à part entière accompagnée d’un mode de vie complet qui en découle. D’ailleurs, le mot “din” que l’on traduit souvent par “religion” a davantage cette signification au combien plus profonde et en adéquation avec ce qu’est réellement l’Islam.
Très succinctement, tout musulman qui s’exprime sur l’Islam se doit d’en avoir compris et intériorisé l’essence.
En plus de cela, il est nécessaire d’être doué d’un minimum d’intelligence et de pédagogie pour transmettre correctement ce Message une fois qu’il est bien compris. Parce qu’apprendre et comprendre sont une chose mais enseigner en est une autre, il se peut que les meilleurs élèves deviennent les pires professeurs.
La da’wa est une science qui s’apprend, au même titre que n’importe quelle autre discipline. Raison pour laquelle je conseille sincèrement à mes frères et sœurs agissant ou envisageant d’agir dans la prédication de se rapprocher de prédicateurs expérimentés afin de bénéficier de leur expérience et des leçons qu’ils en ont tirées.
Bien sûr, je vais vous transmettre au maximum tout ce que j’ai d’utile à partager à travers ce livre mais le mieux est d’avoir autour de soi un grand frère (ou une grande sœur pour les prédicatrices débutantes) expérimenté et disponible pour vous épauler au moins durant les premiers temps. Et même avec les années, il est bon d’avoir autour de soi des grands frères de confiance pour vous aider dans vos entreprises, en particulier lorsqu’elles concernent le din. Le fait d’être bien entouré est une protection contre le mal des shayatin – parmi les djinns et les hommes – mais surtout contre le mal de son nafs. Sans compter qu’en groupe, on va plus loin. Si les prédicateurs sunnites travaillaient tous ensemble, au sein d’une même structure – comme le font les frères de l’excellente association Âme et Conscience, par exemple – ce ne pourrait qu’être positif pour la da’wa en Europe, et plus largement dans le monde entier.
Personnellement, cela fait plusieurs années que je suis actif dans la da’wa, par la grâce d’Allah azawajal. Eh bien je continue malgré tout à faire relire mes livres par des grands frères de science en qui j’ai confiance, malgré le fait qu’Allah azawajal m’ait comblé du bienfait de connaitre mes limites et de savoir m’y tenir.
Au passage, le fait de connaître ses limites est primordial lorsqu’on se lance dans la da’wa. Comme nous l’avons vu, il n’est pas nécessaire d’être un grand savant mujtahid pour appeler à l’Islam : le fait d’inviter les gens qui nous entourent à réfléchir au sens de la vie, puis accompagner dans leur cheminement ceux qui se montrent réceptifs et transmettre ce que l’on sait est suffisant, surtout dans un contexte comme le nôtre. Mais en revanche, il est nécessaire de savoir faire la part des choses entre ce que l’on sait avec certitude et que l’on est en mesure de démontrer, ce que l’on pense savoir, ce sur quoi on a quelques notions et ce que nous ne connaissons que superficiellement voire pas du tout. Autrement, on a beau avoir les meilleures intentions, on risque de propager beaucoup plus de mal que de bien, comme beaucoup le font sur leurs comptes de rappels et autres groupes WhatsApp ou Facebook où l’on publie des versets et ahadith décontextualisés et pas toujours très authentiques à destination de débutants qui n’ont pas les outils pour comprendre ces textes…
Ajouté à cela qu’il est nécessaire de faire très attention à sa niya. En premier lieu dans le but de se préserver soi-même d’un sort funeste fil akhira (parmi les trois premières personnes à être jetées en Enfer figure un savant qui a transmis le din dans l’objectif qu’on dise de lui qu’il était un érudit). Mais aussi parce que si on se lance dans la da’wa avec l’intention d’être connu, meilleur que les autres, d’avoir des abonnés, pour ensuite pouvoir vendre des formations à des prix prohibitifs[2]… trop important est le risque que le contenu de notre prédication s’en trouve affecté.
On a vu précédemment un certain nombre d’erreurs commises par beaucoup de musulmans dans la da’wa. Eh bien, si ce B-A-BA était acquis, je ne pense pas me tromper en affirmant qu’au moins 80 à 90% de ces erreurs pourraient être facilement évitées, parce que la source du problème est généralement lié soit à une mauvaise compréhension du din (littéraliste ou moderniste) soit à un défaut dans la méthode de transmission, inadapté à l’auditoire ou ne prenant pas en compte certaines réalités contextuelles, soit à une intention corrompue, soit à l’ultracrépidarianisme de certains prédicateurs. Wa Allah u alam.
Évidemment, il y a encore à dire mais je préfère être succinct et vulgariser au maximum afin que ces chapitres soient accessibles à tous. Mais la da’wa est une discipline à part entière dans les sciences islamiques, au même titre que le fiqh des ibadates, des mou3amalates, du tafsir, de la sira, du tajwid, du tasawwuf, de l’Histoire, etc.
Et comme dans toutes les sciences, il existe des oussoul et des oulémas spécialistes qui ont écrit des ouvrages et enseignent cette discipline aux muslimin. Alors en France, c’est un peu compliqué étant donné le contexte délicat lié à la prédication dans ce pays. Mais il est toujours possible de trouver des grands frères expérimentés dans l’art de la da’wa, ainsi que des ouvrages profitables à ce sujet.
Ici, je ne fais que motiver mes frères et sœurs à entreprendre cet effort nécessaire... mais comme toujours, j’encourage à agir avec science, intelligence et sagesse.

[1] Ou plutôt au modernisme, en l’occurrence.
[2] Précision importante : ce n’est pas parce qu’un imam ou un prédicateur fait payer certains de ses cours / séminaires… qu’il n’est pas sincère. Le frère a donné de son temps pour préparer ses cours et nous transmettre ce qu’il a longuement étudié, donc il est normal qu’il puisse, si l’enseignement est son activité principale, en vivre et subvenir aux besoins de sa famille. En tant qu’élève, je ne vois aucun problème dans le fait de payer mon professeur si celui-ci me donne de la science utile sans que le prix qu’il fixe ne soit exagéré : il y a une différence entre payer 500€ l’année dans un institut reconnu qui va nous donner de bons cours de aqida et de fiqh en suivant l’une des écoles sunnites, ainsi que des cours sur la sira, le tafsir du Coran et des ahadith du Prophète ﷺ, la langue arabe… tout en nous formant également à bien comprendre le contexte et les grands enjeux du monde actuel ; et le fait de payer le prix d’un RSA – voire d’une voiture – à un type dont le cursus n’est pas clair pour que celui-ci nous « apprenne à améliorer notre prière » le temps d’un week-end (alors que les frères du tabligh sont prêts à faire cela gratuitement) ou à nous « coacher spirituellement » via des enseignements remplis de shirk (yoga, ouvre tes chakras, loi des énergies, de l’attraction de je ne sais quoi – et ne veux pas le savoir, d’ailleurs). Pour m’épanouir spirituellement, je pose mon front au sol le matin, le midi, l’après-midi, le soir et la nuit devant l’Unique à être capable de faire descendre la sérénité sur mon cœur.




